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[Chapitre précédent]

 Après avoir suivi la route pendant quelques heures, Layla montre du doigt l’horizon à Derreck pour lui signaler Langekan. Il découvre alors une immense cité fortifiée, perdue au milieu d’une vallée. La ménestrelle lui raconte que la ville a été fondée par des aventuriers il y a très longtemps, et qu’elle est devenue un comptoir commercial par la suite. Fichée au sommet d’un relief naturel, la métropole semble s’être construite sur elle même en laissant les bâtiments se chevaucher. À mesure qu’ils approchent, des habitations, des fermes et des moulins apparaissent. La route devient plus pratiquée, et ils croisent sans cesse des gens vaquant à leurs occupations. Quand enfin ils arrivent aux portes de la ville, il y a une file d’attente. Layla explique à Derreck : « Les gardes de Langekan contrôlent tous les voyageurs. Question de sécurité, ils vérifient que personne ne transporte de marchandises dangereuses. » Le jeune homme s’inquiète alors :
-Ils ne vont pas vouloir me prendre mon couteau ? » Layla lui sourit :
-Tout le monde peut avoir une arme sur lui, nous vivons dans un monde dangereux et Langekan n’en est pas exempte. Tant que tu n’as pas un arsenal sur toi, ils ne t’embêteront pas. » Derreck lui sourit :
-Hormis mon couteau, je n’ai que ce que tu m’as donné… » Il observe la file avancer et fait un pas en avant. Il s’émerveille de voir autant de monde, et angoisse un peu, mais il sourit et ajoute : « Encore merci pour tout ce que tu as fais pour moi. Je ne serais jamais arrivé jusqu’ici sans toi. » Layla se met à rougir :
-Je suis contente que tu n’aies pas été un bandit. » Elle regarde soudain ses pieds et demande timidement : « Dis-moi Derreck, qu’est-ce que tu vas faire maintenant ? Je veux dire après être entré à Langekan ? » Le jeune homme reste pensif un instant, il préfère ne pas tout raconter à la barde :
-Je dois trouver un endroit, c’est important pour moi.
-Tu sais où tu dois aller ? » Lui demande Layla avec un peu d’inquiétude :
-Non, mais je devrais pouvoir me débrouiller. Je ne veux pas d’avantage t’embêter avec mes problèmes. » La ménestrelle hausse les épaules :
-Tu ne m’a pas embêté Derreck, j’ai apprécié notre chemin ensemble. » Derreck lui sourit chaleureusement :
-Moi aussi Layla. » La ménestrelle devient rouge comme une tomate, mais se recompose quand la file avance et que c’est à leur tour. Elle se tourne vers Derreck :
-C’est ici que nos chemins se séparent, je vais à la guilde des aventuriers, viens me trouver si tu as besoin de quoi que ce soit, d’accord ? » Elle s’approche de lui, se hisse sur la pointe des pieds et lui dépose un baiser sur la joue. Un peu surpris Derreck reste figé, il la regarde présenter son pendentif d’aventurière aux gardes et ces derniers la saluent en la laissant passer sans contrôle supplémentaire. Derreck se ressaisit et s’avance. L’un des gardes, un moustachu un peu bourru lui demande : « Qu’est-ce qui vous amène à Langekan monsieur ? » Il ne peut décemment pas leur dire qu’il est envoyé par un dieu sombre. Aussi déclare-t-il : « J’ai un rendez-vous pour affaire. » pendant que les soldats fouillent son sac. Ils y jettent un œil rapide avant de le lui rendre. Le moustachu lui dit alors : « Bonne journée monsieur, et bienvenue à Langekan. » Avant de se tourner vers la file d’attente et de crier : « Suivant ! » Derreck poursuit son chemin et passe sous l’arche de la muraille dont la herse est ouverte. Immédiatement les odeurs et les sons de la ville agressent les sens. Les rues sont bondées et les charrettes, carrosses et piétons se croisent sans cesse. Il s’écarte du milieu de la voie et avance prudemment le long des habitations. Il est complètement dépaysé, mais pas perdu pour autant. Des vendeurs à la sauvette l’appellent, cependant il sait qu’il n’a pas un sou en poche pour leur acheter quoi que ce soit. Il doit se concentrer sur sa tache principale, à savoir chercher le temple que Yag lui a demandé de trouver. Il erre pendant des heures dans les rues de Langekan, en évitant de rester sur les grands axes. Quand à midi la faim le rattrape il fait une pause pour chercher une ration dans son sac. Il finit par trouver ce qu’il cherche, mais s’aperçoit que c’est la dernière que Layla lui a offert. Si il ne trouve pas le temple avant ce soir, il lui faudra se débrouiller pour trouver à manger. Il décide de ne consommer que la moitié de ce qu’il lui reste, il vaut mieux être prévoyant, d’autant qu’il n’est plus en pleine forêt et ne sera pas en mesure de trouver de la nourriture facilement. Tandis qu’il grignote il réfléchit à un moyen de dénicher le temple, et ne parvient pas à imaginer le moindre plan. Il passe l’après-midi à arpenter les rues de Langekan, si bien qu’à un moment il arrive dans une ruelle et se fige. Il est persuadé d’être déjà passé devant une maison semblable à celle qu’il observe. Il soupire lourdement et ses épaules s’affaissent. Une voix derrière lui le fait sursauter : « Tout va bien monsieur ? » Il se retourne et un homme en armure, un peu plus vieux que lui le fixe du regard. Derreck lui sourit :
-Je crois que je suis un peu perdu.
-Je peux peut-être vous aider ?
-C’est gentil, je cherche un temple dans cette ville, vous savez où je peux en trouver ? » L’homme se gratte le menton :
-Il y a bien le quartier du clergé à l’ouest. C’est entre les beaux quartiers du nord et le cloaque du sud. » Derreck regarde autour de lui, et l’homme pouffe de rire. Il pointe son doigt dans une direction : « Rejoignez la rue pavée par là, tournez à gauche et vous devriez apercevoir de grands édifices en pierre un peu plus loin, ce sera l’endroit que vous cherchez. » Derreck s’incline pour le remercier et remarque un pendentif en fer similaire à celui de Layla. Il s’exclame : « Merci aventurier, je vous souhaite bonne chance dans vos quêtes. » L’autre rit et rougit avant de le saluer de la main et de s’en aller. Derreck suit ses indications et après quelques minutes de marche il observe effectivement les constructions. Il y en a trois au total, Il s’en approche et les détaille. Ce sont des bâtiments grandioses gigantesques, de véritables œuvres d’arts. Un homme en robe blanche s’approche de lui et le salue : « Bonjour mon fils, vous me semblez perdu. Avez-vous besoin d’aide ? » Derreck sent ses entrailles se retourner, comme saisit d’une peur primaire. Son vis à vis ne semble pourtant pas dangereux, il tâche de se maîtriser et répond avec politesse :
-Je suis à la recherche d’un temple. » L’autre semble amusé et lui demande :
-Lequel ? » Derreck hausse les épaules :
-Je ne sais pas vraiment. » L’homme l’attrape par l’épaule et son contact provoque un frisson chez l’adolescent. Pourtant l’inconnu lui répond avec douceur et chaleur :
-Ah… je vois… Vous êtes perdu et cherchez votre voie. Dans ce cas, permettez-moi de vous présenter les lieux de culte de Langekan. » Il lui désigne le bâtiment le plus proche, tout de marbre blanc et décoré de statue d’hommes ailés : « L’ordre de la Justice, elle voue un culte aux anges, nos éternels protecteurs qui défendirent les terres de Rolon il y a bien des éons contre l’engeance du Royaume de Souffre. » Derreck n’a jamais entendu parler d’anges ou de démons. Il s’apprête à questionner son interlocuteur, mais ce dernier poursuit en désignant une nouvelle bâtisse : « La Sainte Enclave, demeure des fidèles et vierges de Barona. Je doute que vous cherchiez celui-ci, seules les femmes y sont admises pour vénérer les valkyries, des créatures féminines ailées. Elles aussi protègent le plan physique contre les intrusions des êtres maléfiques venus des Royaumes inférieurs. » L’homme désigne le dernier : « Enfin l’Église de la Lumière, dont je suis membre. Nous servons les Immuables, des êtres de magie, de bonté et de bienveillance. Eux n’ont jamais combattu pour nous, mais nous ont guidés et aidés à nous relever dans nos heures les plus sombres. » Derreck sent que le temple qu’il cherche n’est pas ici, il remercie l’homme et s’éloigne en faisant mine d’aller vers la cathédrale la plus éloignée, avant de disparaître derrière. Il est désemparé et marche pendant qu’il réfléchit. Il lui semble évident que le temple de Yag, sombre divinité de la Dépravation, ne sera pas dans ce quartier... mais où alors ? À court d’idée, Derreck décide de s’éloigner du secteur du clergé et reprend ses recherches. Après des heures de marche, il est épuisé. La lumière du jour commence à décliner son estomac gronde. Avec tristesse, il ouvre son sac pour y prendre sa dernière ration et l’avaler. Tandis qu’il est installé sur le bord d’une ruelle, il voit les commerçants fermer leurs boutiques, et d’autres allumer des lampions et lanternes à leurs portes. La plupart sont rouges, ce qui surprend Derreck.  À mesure que l’obscurité tombe sur la rue, des femmes sortent sur les porches et semblent attendre. Lorsqu’il les observe plus attentivement, il remarque qu’elles sont peu vêtues et fortement maquillées. Alors qu’ils marche, l’une d’entre elle l’apostrophe avec un voix suave : « Coucou mon joli, dis-moi tu t’es perdu ? » Une autre ronchonne :
-Arrête Carmen, tu vas lui faire peur. » Celle-ci s’approche de lui et d’une voix douce : « Ne t’inquiète pas, on ne va pas te... » Elle se tait tout à coup et ses yeux s’ouvrent en grand. Elle s’exclame alors : « Merde il est sublime celui-là ! » Elle vient alors se coller à lui et attrape son bras pour lui demander : « T’es tout seul ce soir ? Je te fais un prix si tu veux... » Elle l’observe encore plus et annonce : « Je crois que je ne te ferai même pas payer. » Derreck entend ses amies pousser des exclamations dubitatives, l’un d’elle brandit une torche, pour l’éclairer et l’aveugler par la même occasion. L’ensemble des filles se mettent alors à crier de surprise et à parler en même temps : « Attends mon grand, viens avec moi !
-Non, l’écoute pas, je vais te faire du bien tu vas voir. »
-Quoi ? Mais je l’ai vu la première ! »
-Calmez-vous ! » Derreck est agrippé de partout et secoué dans tous les sens. Un souffle glacé lui parcourt le dos et il a l’impression d’être observé. Quand il tourne le regard vers l’origine de son malaise, une silhouette encore plus noire que la nuit le scrute depuis l’angle de la rue. Derreck parvient  à ramener le calme auprès des femmes en souriant et en demandant : « Mesdemoiselles, vous pourriez me lâcher, j’aimerais poursuivre mon chemin. » Elles deviennent toutes dociles et fascinées par Derreck. Leur emprise se relâche, et l’une d’elles demande :
-Tu ne restes pas ? »
-Je suis désolé, j’ai à faire. » Une autre :
-Où est-ce que tu vas ? Est-ce qu’on peut t’y retrouver plus tard ? » Derreck hausse les épaules en s’éloignant :
-Je regrette, je ne sais pas. Passez une bonne soirée mesdemoiselles. » Les filles semblent alors peinées et le regardent partir. Il trottine dans la direction de l’ombre qui disparaît au virage. Il l’emprunte quelques secondes après, et la silhouette a disparu. Alors qu’il se demande si suivre ainsi un inconnu au milieu de la nuit est bien judicieux, il a l’impression qu’on lui souffle à l’oreille, mais à distance. Il en cherche la provenance et la trouve bien plus loin dans la rue, la forme est là. Il reprend sa course et au moment où il ne reste qu’une dizaine de mètres entre eux, elle s’engouffre dans une allée sombre. Le passage est entre deux habitations hautes, il y a la place pour passer à deux cote à cote et le sol est couvert de graviers grossiers. L’endroit semble servir de chemin pour accéder à une autre rue. Son instinct lui hurle de faire demi-tour, mais quelque chose… quelqu’un… le pousse à avancer. Il dégaine son couteau de chasse et s’engage dans la ruelle. Son cœur bat la chamade, il n’y a aucun éclairage et le peu de lumière octroyé par la lune est tamisé par des tentures tendues entre les bâtiments pour protéger l’allée de la pluie. Il progresse pas à pas, prêt à bondir au moindre bruit, il tend l’oreille et son cœur se fige : rien. Il n’entend même plus les bruits de la ville, le silence est complet, en dehors de l’assourdissant martellement de son cœur et du crissement des graviers sous ses pieds. Il reste figé durant de longues secondes, retenant sa respiration, jusqu’à ce qu’il n’y tienne plus et inspire un grand coup. Il sent quelque chose bouger à côté de lui, et quand il saute pour y échapper, il se trouve face à une porte. Derreck est confus, il perçoit un appel derrière cette porte, il est attiré par celle-ci, mais elle donne sur une maison délabrée et, bien qu’elle semble solide, elle n’a absolument pas l’air spécial. Alors pourquoi se sent-il porté vers elle ? Pourquoi brûle-t-il de l’ouvrir ? Il parvient à se calmer, il regarde autour de lui et constate qu’il n’y a personne. Il avale sa salive avec difficulté et pose sa main sur la poignée. Rien ne se passe. Il appuie dessus et découvre que la porte est déverrouillée. Il la pousse et ne découvre que les ténèbres. Il peut voir un dallage de pierre au sol, éclairé par les quelques rayons de la lune qui parviennent jusqu’à la ruelle, mais rien d’autre. Sans savoir ce qui motive sa décision, il franchit le seuil, et avance. Après quelque pas, l’accès se ferme derrière lui, et il progresse à l’aveugle. Il tâtonne de peur de trébucher, mais aucun obstacle ne se dresse sur son chemin. Il sent sa tête tourner et titube l’espace de quelques secondes. Il aperçoit une faible lueur plus loin et s’en approche. Il passe sous une arche de pierre et cligne des yeux. Est-ce réel ? Il vient pourtant d’entrer dans une maison pas… Devant lui se dresse un hall circulaire aux proportions impossibles. Il est bien trop grand, et ne devrait pas être là. Derreck s’avance, et tout est réel. L’endroit est aménagé de manière à ce que plus l’on s’approche du centre, plus l’on descende. Il y a deux escaliers, un depuis l’accès qu’il vient d’emprunter et l’autre à l’opposé du hall. Le reste est un sol en pente douce, créant un genre de cuve arrondie. À mi-parcours, de part et d’autre du hall il y a quatre piliers. Derreck s’en approche et y remarque gravés des corps de femmes nues, à taille réelle. Ces représentations semblent heureuses, séduisantes, et s’enroulent autour des poteaux jusqu’à leur sommet. Il découvre que la coupole est peinte de somptueuses représentations faites à la main. Les scènes sont grivoises et détaillent des femmes s’accouplant avec des créatures grotesques. Le regard de Derreck revient au niveau du sol en passant par les murs. Ils sont couverts d’autres silhouettes féminines dénudées dans des positions mettant en avant leurs attributs charnels. Au pied des parois il y a des alcôves aménagées avec de banquettes confortables en étoffes soyeuses, pourpre et rouge ainsi que de fins rideaux presque transparents. Mais l’élément le plus intriguant se trouve au centre du hall. Un bloc de pierre taillé en un piédestal haut comme le genou. La roche est lisse, noire et nervurée de carmin et de violet, une gemme transparente est encastrée du côté du piédestal faisant face à l’entrée par laquelle il est arrivé. Au dessus, en plein milieu, une sculpture a été taillée dans le même matériau. Derreck ne peut s’empêcher de la comparer à son onzième doigt tendu, mais il est bien trop large et grand. Aussi épais que son torse, et aussi haut que sa hanche, bien qu’il s’affine énormément sur son sommet pour atteindre des proportions plus habituelles. De plus, la sculpture est couverte de bosses et protubérances, c’est à n’y rien comprendre. Derreck observe l’endroit et appelle : « Il y a quelqu’un ?! » Son cri résonne mais personne ne répond. Il s’accroupit pour observer la gemme et remarque qu’elle est partiellement teintée de noir. Il y a comme une sorte de mince filet de fumée prisonnier à l’intérieur. Soudain une porte s’ouvre avec fracas. Derreck se redresse et découvre un vieil homme. L’individu est dégarni et ses cheveux blancs sont en bataille et sales. Sa barbe est dans le même état et il jette à Derreck un regard de surprise horrifiée. Le jeune homme s’adresse à lui timidement : « Bonsoir monsieur… pardonnez mon intrusion je... » Le vieillard se rue sur lui avec une matraque qu’il gardait jusque là cachée dans un pli de sa toge crasseuse. Il se met à éructer : « Qui t’envoie ?! Ce sont ces bâtards de l’Ordre, c’est ça ?! » Derreck se met à fuir dans le hall et va se cacher derrière un pilier en criant : « Attendez ! Non ! Je…
-Comment es-tu entré ici ?! » Derreck le voit charger. Bien qu’il soit d’une lenteur propre à son âge, il préfère mettre le plus de distance possible entre lui et l’ancêtre. Il s’écrie :
-La porte était ouverte !
-Conneries ! Qui t’envoie ?! »
-Je suis désolé je cherche le temple de Yag ! » Le vieux lui jette sa matraque et le manque, puis vocifère :
-Bah tu l’as trouvé p’tit con ! Maintenant viens te battre qu’on en finisse ! » Le cœur de Derreck manque un battement. Il se fige, sourit et demande :
-C’est ici ? C’est cet endroit ? » Le vieux est soudain essoufflé et s’appuie contre un pilier. Derreck observe une fois de plus le hall et murmure :
-Mais oui… Ça paraît évident maintenant. » Le vieillard le regarde avec curiosité et lui demande :
-Hé petit, t’es qui au juste ?
-Je m’appelle Derreck monsieur. On m’a demandé de trouver cet endroit.
-Qui ça « on » ? » Le jeune homme hésite puis déclare, gêné :
-Je crois que c’était Yag lui-même monsieur. » L’ancêtre se fige et ses yeux s’écarquillent. Il scrute Derreck tout en récupérant son souffle puis lui dit :
-Approche petit. » Lui faisant signe de le rejoindre. Derreck hésite et finit par obtempérer en restant sur ses gardes. Le vieux lui attrape les mains et les observes. Puis il remonte une manche de la veste de Derreck, puis sa chemise lui dénudant le bras. Le jeune homme fait cesser le manège quand le vieil homme soulève ses vêtements pour inspecter son ventre et commence à vouloir lui retirer son pantalon : « Ça suffit, qu’est-ce que vous faites ?
-Je vérifie si tu mens. Dans quelles circonstances Yag t’a-t-il demandé de trouvé son sanctuaire ?
-Il n’a pas dit sanctuaire, mais temple et... » Derreck se gratte la nuque avec embarras avant de déclarer : « Bon ça va vous paraître fou, mais je crois qu’il m’a ressuscité... » Le vieux sursaute et lui lance un regard méfiant mais ardent :
-Il t’a dit pourquoi il t’avait ramené de l’au-delà ?
-Selon lui, il m’a empêché de me rendre au Royaume des Morts. Il a dit qu’il avait besoin d’un exécutant sur le plan physique. » Son interlocuteur retient un genre de tremblement en poussant un cri étouffé. Il inspire à fond puis expire avant de déclarer :
-D’accord... » Il se met à gratter sa barbe frénétiquement et à marmonner de manière délirante. Il se parle à lui même et Derreck ne saisit pas un traître mot de ce qu’il raconte. Puis soudainement il fixe son regard dans celui du jeune homme : « Supposons que tu dises, vrai. Je vais partir de principe que tu ne m’as pas menti. J’ai un moyen de vérifier tes dires, et en plus ça rendra service à Yag, au temple et à moi. Tu serais d’accord pour m’aider ? » Derreck ne sait pas trop, mais il finit par hocher la tête. Le vieux s’exclame : « Excellent ! » en se frottant les mains, puis il désigne le couteau de chasse de Derreck et lui dit : « Passe moi ça. » Le jeune homme ne bouge pas et regarde le vieillard avec méfiance. Ce dernier soupire : « Je t’ai dit que je te faisais confiance le temps de vérifier tes dires. Donne-moi ce couteau, je te promets que je ne te ferai pas de mal. Enfin... » Il soupire et se masse l’arrête nasale : « On va devoir te faire un peu mal je suppose. » Il désigne le piédestal au centre de la pièce : « Il faut que tu verses de ton sang là dessus. » Derreck prend peur, mais l’ancêtre secoue ses mains devant lui : « T’inquiète pas, rien de bien méchant. Et si tu as été choisi par Yag, cela devrait déclencher un phénomène magique. » Derreck a des tas de questions, il refuse d’obtempérer et demande des explications au barbu. Fais-le… La voix de Yag vient de soupirer dans son crâne, le faisant sursauter. Le vieux le regarde avec suspicion : « Qu’est-ce qu’il y a ?
-Rien je… Je vais le faire. » Il dégaine son poignard et s’approche du bloc de pierre noire, rouge et pourpre et inspire un grand coup. Il tend ses deux mains au dessus et attrape sa lame avec sa dextre, il la serre et glisse dessus jusqu’à sentir une violente morsure. Un long filet de sang dégouline sur le piédestal, Derreck pousse un gémissement et le vieux s’exclame : « Pas autant malheureux ! Tu vas te trancher les doigts, imbécile ! » Horrifié il s’approche de Derreck et lui serre le poing pour faire cesser le saignement : « Mais tu es complètement malade !
-Mais vous aviez dit…
-Oui d’accord, j’ai oublié de préciser quelques gouttes ! Tu en as trop... » Il est interrompu lorsque l’hémoglobine de Derreck se met à bouillir sur la pierre et qu’une épaisse fumée rose commence à s’en échapper. Le vieil homme se met à bondir de joie en s’écriant : « Oh c’est pas vrai ! C’est pas vrai ! » Il se tourne vers Derreck et le serre dans ses bras en clamant : « C’est toi ! C’est bien toi ! » Il se met à rire à gorge déployée et à danser comme un dément. Derreck comprime sa main en serrant les dents et en poussant un gémissement plaintif. Le vieux se rue sur lui et lui dit avec douceur : « Viens, ne restons pas là, je vais soigner cette plaie. » Il se dirige vers une porte discrètement cachée entre deux alcôves, presque à l’opposé de celle qu’à empruntée Derreck en arrivant. Le jeune homme suit le vieillard qui boitille à travers un couloir jusqu’à une sorte de cuisine, salle à manger. L’endroit est vide, sale, et poussiéreux. Le vieux s’exclame : « Installe toi là, je vais te chercher un bandage et de l’eau. Derreck obtempère et s’assoit. Il y a une grande table en bois massif, des chaises, une cuisinière en fonte, des placards et des étagères partout. Derreck se lève et les ouvre, en dehors de quelques éléments de vaisselle en bois, tout est vide. Il sursaute lorsque l’ancêtre revient, ce dernier lui tend un linge propre trempé d’eau froide, et un autre sec : « Désolé ça fait bien longtemps que je n’ai plus d’alcool. Nettoie la plaie avec le mouillé et... » Derreck commence à le faire en hochant la tête. Il sait comment faire et n’a pas besoin qu’on lui explique. Le vieux finit par s’asseoir et lui déclare avec un sourire : « Si tu as bien été choisis par Yag, je... » Il pousse un ricanement presque dément : « …Je m’appelle Dokkrus Friberg et j’ai longtemps attendu ta venue… Tu n’as pas idée. » Des larmes apparaissent aux coins des yeux de Dokkrus et Derreck y voit une profonde détresse. Il réalise soudain, et demande : « Depuis combien de temps vivez-vous seul ici ? » Dokkrus se met à pleurer et à hoqueter. Derreck a de la peine pour ce vieil homme, il aimerait le consoler, mais il n’est pas encore assez à l’aise pour l’approcher. Finalement Dokkrus réussit à se ressaisir et marmonne : « Plus de trente ans c’est certain… J’ai arrêté de compter après... » Derreck laisse échapper un gémissement d’horreur. Lui avait vécu seize ans presque seul, mais il avait quand même eu Fredercik, Symmone et les villageois. Leur souvenir lui revient en mémoire et il sent son cœur s’alourdir. Puis il fronce les sourcils et revient sur une déclaration de Dokkrus : « Vous avez dit : Si j’ai bien été choisis par Yag. Vous voulez dire que ça... » Il désigne sa main : « N’a pas suffit ? » Dokkrus se mouche dans sa robe de manière sonore avant de répondre :
-Oh ça ? Oui bien sûr ça peut prouver la véracité de tes dires, mais j’ai besoin d’une autre preuve.
-Laquelle ? » À ces mots une voix féminine résonne au loin, comme étouffée : « Il y a quelqu’un ? » Dokkrus ouvre de grands yeux ronds, se met à sourire de ses dents jaunes et chuchote : « Oh je n’y crois pas… ça a marché... » Il fait ensuite signe à Derreck de ne pas faire de bruit et de le suivre. Ils sortent de la cuisine et empruntent un escalier qu’ils montent sur la pointe des pieds. Ils arrivent dans une espèce de couloir où des sièges sont installés face à des murs percés. Dokkrus attrape le bras de Derreck et l’attire jusqu’à un siège pour le faire asseoir, il lui désigne ensuite deux orifices creusés dans la pierre face à lui et lui fait signe de regarder. Derreck s’avance et distingue le hall circulaire par lequel il est entré dans le temple. Il se trouve maintenant en hauteur par rapport à la porte qu’il a empruntée en arrivant et y voit une femme qui regarde partout avec anxiété. Derreck se recule et s’apprête à questionner Dokkrus, mais ce dernier lui fais signe de se taire en souriant et s’installe de manière similaire à côté de lui en murmurant : « Attends, ça va commencer... » Derreck observe à nouveau le hall et la femme. Difficile de la distinguer car elle porte un voile en plus d’une robe marron simple à manches longues. Elle semble apeurée et appelle régulièrement : « Excusez-moi ? » Ses cris parviennent étouffés à Derreck. Malgré tout elle avance pas à pas, petit à petit, et Derreck entend Dokkrus murmurer : « C’est ça petite coquine, approche… on sait pourquoi tu es là... » Comme si elle l’avait entendu, la femme se dévoile et observe le centre du hall. Elle est plutôt mignonne avec ses cheveux châtains mi-longs. Son regard semble s’être fixé sur le piédestal et la statue. Elle est comme subjuguée et attirée vers elle, mais semble parfois retrouver ses esprits. Elle crie alors : « La porte était ouverte ! Je me suis permise d’entrer ! Il y a quelqu’un ?! » Ses appels laissés sans réponse, elle s’avance timidement vers le piédestal et admire la sculpture. Dokkrus soupire : « Voilà… C’est ça… Tu sais que tu en meurs d’envie... » Derreck la voit tendre la main vers la sculpture avec appréhension, la toucher puis vite la retirer comme si elle s’était brûlée ; pour enfin y revenir et la caresser affectueusement. Elle se met à haleter et son visage roussit, Derreck l’observe alors qu’elle hisse une jambe sur le piédestal. Il est encore en train de se demander ce qu’elle peut bien faire, quand il la voit se frotter contre le bloc de pierre noire. Dokkrus se met à ricaner : « Petite traînée, tu n’en pouvais plus hein ?... » La jeune femme se met à onduler de plus en plus vite, puis soudainement elle soulève sa robe, retire ses sous-vêtements et grimpe nue sur le piédestal. Elle étreint la sculpture et l’enlace avant d’y coller son entrejambe et d’y imprimer des mouvements de va-et-vient. Derreck parvient à saisir ses gémissements de plaisir entre ses halètements sonores. Il la regarde écarter les jambes de plus en plus. Son ballet est hypnotisant, elle caresse ses cheveux, sa poitrine, son entrejambe. Elle se dresse sur ses jambes et glisse le sommet de la statue dans sa fente. Après avoir poussé un râle rauque de satisfaction elle plie et tend les jambes, Derreck comprend qu’elle simule un acte de plaisir comme il en avait pratiqué un avec Layla. Il a presque l’impression de la voir danser un jour de fête du village, tant elle remue son bassin. De haut en bas, de gauche à droite, avec des mouvements circulaires, ses gesticulations deviennent frénétiques puis elle secouée de tremblements alors qu’elle pousse un cri déchirant. Elle se met à projeter un liquide translucide sur le piédestal en se cabrant en arrière. Puis elle se retire de la statue et tombe à genoux sur le piédestal. Dokkrus jubile : « Quelle salope… Tu en avais besoin hein ? Depuis combien de temps tu te retenais sale hypocrite ? » La femme semble sortir d’un sommeil et sursaute, elle regarde autour d’elle, constate qu’elle est nue et pousse un petit cri de surprise : « Qu’est-ce que j’ai fait… ? Oh par les dieux... » Elle se rhabille en vitesse et s’enfuit par la porte qu’elle a empruntée à l’aller. Dokkrus se met à ricaner et se recule dans son siège en marmonnant : « Ah… si j’avais eu trente ans de moins je la sautais cette putain... » Derreck le regard avec confusion, et le vieil homme lui sourit :
-Cela confirme tes dires. » Il s’incline : « Bienvenue au temple de Yag, Ô Grand Dépravé. » Puis il se lève et retourne aux escaliers qu’il a empruntés. Derreck le regarde faire d’abord, puis lorsqu’il constate que Dokkrus s’en va, il bondit hors de son siège et part à sa poursuite. Il le rattrape dans les escaliers et s’exclame : « Attendez, je ne comprends rien. Qu’est-ce que vous racontez ? Et qu’est-ce que c’était que ça à l’instant ? » Le vieil homme pouffe de rire et répond :
-Je te dis que tu es bien ce que tu prétends être : un Grand Dépravé, un élu de Yag. Je le sais car seuls ces hommes choisis par Yag peuvent entrer dans ce temple, et encore plus activer son autel. » Derreck est encore plus perdu :
-Attendez, quoi ? » Ils sont désormais devant le piédestal et Dokkrus observe la gemme encastrée à l’avant de ce dernier. Derreck remarque que la fumée noire à l’intérieur a gonflé et s’est agitée. Dokkrus hoche la tête et marmonne : « Bien… ça devrait nous permettre de tenir un temps... » Il attrape Derreck par le bras et le guide à nouveau vers l’arrière du temple : « Écoute, je suis certain que tu as des tonnes de questions. Je pense pouvoir répondre à la plupart d’entre elles, mais il se fait tard, et j’ai besoin de repos. » Tout en parlant le vieillard l’entraîne vers un étage supérieur : « Ce qui vient de se passer, c’est que ton sang, au contact de l’autel, à appâté cette femme. Les vapeurs l’ont amenée jusqu’ici, et l’essence du Royaume de la Chair, prisonnière de la pierre, a réveillé ses désirs. Elle n’a pas pu s’empêcher de les assouvir car ici une puissante magie pousse les apostats à succomber à leurs appétits les plus basiques. De par sa jouissance, elle a offert un regain de puissance au temple qui pourra maintenir ses enchantements en place. » Derreck bredouille :
-J’ai… Je ne comprends pas tout. » Dokkrus soupire, soudain des torches dans les murs s’allument de faibles flammes rouges et pourpres. Le vieil homme s’exclame :
-Tu vois ? La magie revient dans le temple ! » Puis plus calmement : « Si tu ne comprends pas c’est normal. Je prendrai le temps de tout t’expliquer demain. En attendant. » Il s’arrête devant une porte et l’ouvre, dévoilant une chambre à coucher. Elle est équipée d’un lit double, d’une armoire, d’une malle et même d’un bureau de travail et d’une chaise. L’endroit est poussiéreux, mais dès qu’ils entrent, la saleté est comme balayée par un courant d’air. Dokkrus siffle d’admiration : « Hé bien, on dirait que je ne suis pas le seul à me réjouir de ton arrivée. Je crois que je n’ai pas vu le temple se nettoyer comme ça depuis plus de dix ans… Enfin ! Voilà ta chambre. Tu peux y laisser tes affaires. Retrouve-moi soit dans le hall soit dans la cuisine demain matin. Si je ne suis pas là, promène toi dans le temple, mais surtout attends moi. Ne sors pas, d’accord ? » Derreck opine du chef et patiente le temps que Dokkrus sorte. Ce dernier lui souhaite une bonne nuit et dès qu’il a fermé la porte Derreck pousse un soupir d’admiration. Une chambre, rien qu’à moi ?! Il ouvre tous les tiroirs et placards, et jubile des les trouver vides. Il s’empresse de déposer son sac dans la malle au pied du lit… De mon lit… réalise-t-il. Puis il accroche sa cape dans l’armoire et jette ses vêtements au sol. Il se rue sur le sommier, se glisse dans ses couvertures et ferme les yeux, il sent les torches s’éteindre et se détend enfin. Il réalise à quel point ces deux derniers jours ont été fous et le sommeil vient l’enlacer immédiatement.

    Derreck se réveille et les éclairages de sa chambre s’allument. Il met quelques secondes à émerger et le souvenir de son arrivée au temple lui revient en mémoire. Il s’habille et sort de la pièce qui s’éteint lorsqu’il la quitte. Il se dirige vers le hall et le trouve désert. Il va ensuite à la cuisine et constate que les murs et les surfaces sont propres. Cependant la vaisselle est toujours sale. Mais où qu’il cherche, pas de trace de Dokkrus. Derreck commence à se demander où est passé le vieil homme, quand il se rappelle que son nouveau compagnon lui a demandé de l’attendre. Il décide donc d’obéir pour l’instant. Mais très vite il s’ennuie et commence à explorer le temple. Bien que sinistrement vide, il découvre que l’endroit est capable d’accueillir de nombreuses personnes. Le bâtiment est aménagé autour du hall principal. Au rez-de-chaussée se trouvent, la cuisine salle à manger, ainsi que de nombreuses pièces vides, mais surtout une cour intérieure. Le jardin est dans un piteux état, mais il y a un puits d’eau claire. Derreck est confus, il se souvient avoir trouvé le temple au cœur de Langekan, pourtant lorsqu’il tend l’oreille… pas un son de la ville ne lui parvient. Impossible de savoir si il est toujours dans la cité, car de hauts murs couverts de lierre, encadrent le jardin et l’empêchent de discerner ce qu’il y a autour du temple. De plus, il n’a trouvé aucune fenêtre donnant sur l’extérieur du temple. La cour part du mur attenant au hall principal et s’étend sur quelques mètres. Le reste du temple bâtit au dessus est donc coupé en deux, mais sans qu’aucune coursive ne fasse la liaison. C’est très étrange, le temple ressemble à une tome de fromage dont on aurait coupé une tranche, mais en laissant le cœur. Il finit par tomber sur des latrines et pense avoir fait le tour du rez-de-chaussée. Il monte d’un étage et trouve principalement les sièges pour observer le hall, ainsi que quelques alcôves confortablement aménagées de larges banquettes. Il y a aussi des latrines et une toute petite salle dans laquelle il y a à peine la place de tenir debout. Derreck imagine qu’il s’agit d’un emplacement de rangement. Il grimpe au deuxième et dernier étage. Il y a des dizaines de chambres, toutes sont ouvertes, sauf une. Il en déduit que ce doit être celle de Dokkrus. Mais surtout, il découvre une pièce remplie d’étagères, toutes couvertes de livres. Il sait ce que sont ces objets, même si il ne sait ni lire ni écrire. Il y a des fauteuils confortables et une petite table. Tout au long de son exploration, les torches et lanternes du temple se sont allumées et éteintes à son approche, et il a été surpris de trouver l’endroit nettoyé de toute poussière. Il finit par redescendre au rez-de-chaussée et se diriger vers un escalier s’enfonçant dans les profondeurs du temple. Là il découvre un unique couloir donnant sur une cave ronde. Il devine qu’elle se situe juste en dessous du hall principal et en regardant le plafond, il voit d’étranges passages étroits. Impossible de regarder au travers, et il ne s’agit pas d’évacuation d’eau puisqu’ils sont placés aux bords de la salle. Derreck hausse les épaules et se dit qu’il demandera des explications à Dokkrus. Tout autour de la cave, des portes renforcées donnent sur de petites pièces vides avec des anneaux de fer accrochés à même les murs. Derreck fronce les sourcils… encore un mystère de plus. Il s’apprête à remonter quand il entend Dokkrus l’appeler. Il se rue vers l’escalier, le monte deux marches par deux marches et retrouve le vieillard dans la cuisine. Il s’exclame : « Te voilà ! Viens, j’ai été chercher le petit-déjeuner. » Il dispose sur la table deux pommes et deux petites miches de pains avant de maugréer : « Avec les compliments de l’Église de la Lumière... » Derreck s’enthousiasme :
-Je les connais, je les ai vus hier. » Dokkrus manque de s’étouffer avec son pain avant de s’écrier :
-Quoi ?! » Derreck est mal à l’aise, il a l’impression d’avoir fait une bêtise et se justifie :
-Quand je cherchais cet endroit, j’ai demandé mon chemin en indiquant chercher un temple, on m’a guidé vers le quartier du clergé…
-Pauvre fou ! Tu n’as pas dit que tu cherchais Yag j’espère ?!
-Non, non. J’ai pris garde de ne le mentionner à personne. » Dokkrus s’apaise et termine de grignoter son pain de ses dents jaunies en marmonnant : « Les cultes dévoués aux êtres des plans supérieurs sont nos ennemis… Ne t’approche pas d’eux pour l’instant d’accord ?
-Oui mais, et vous ? Vous êtes bien allé chercher de la nourriture chez eux non ?
-Parce que ce sont les seuls à offrir la charité. » Il s’emporte à nouveau : « Je fais semblant d’adhérer à leurs valeurs, alors qu’en vérité je rêve de voir brûler ces salopards ! Tout ces hypocrites qui nous dictent comment mener nos vies, sous prétexte qu’ils ont gagné la précédente guerre ! Sans eux on pourrait forniquer toute la journée et vivre la belle vie ! » Derreck fronce les sourcils :
-Forniquer ? » Dokkrus se fige :
-Bah oui, baiser quoi…
-Comme s’embrasser ? » Dokkrus ouvre de grands yeux ronds :
-Attends petit dis-moi. Avec combien de femmes tu as couché, et combien de fois.
-Qu’entendez-vous par coucher ? » Le vieil homme s’étrangle à nouveau. S’en suit une longue discussion lors de laquelle Dokkrus interroge Derreck sur son parcours. Le jeune homme lui parle de sa vie recluse dans les bois, de l’absence d’un modèle paternel et d’une présence maternelle. De sa découverte du couple dans les bois et de leurs actes étranges. Dokkrus marmonne : « Oh misère… Seigneur pourquoi m’avoir envoyé un innocent puceau…
-Qu’est qu’un puceau ? » Dokkrus pousse alors un gémissement de frustration et se lance dans une longue leçon sur les secrets de la sexualité, de la reproduction, et du plaisir charnel. Il apprend tout à Derreck, les techniques et signes de la séduction, le vocabulaire, en passant du vulgaire au raffiné. Le jeune homme est soufflé lorsqu’il apprend que les enfants naissent après l’acte sexuel, puis il s’inquiète pour Layla et explique à Dokkrus son aventure avec la barde. Le vieil homme le regarde avec un sourire lubrique : « Oh petit coquin, pas si pur que ça hein ?
-Dokkrus ce n’est pas drôle ! Est-ce que Layla va avoir un enfant de moi ?
-Tu m’as dit que tu n’avais pas éjaculé en elle ?
-Éjaculer ?... » Il fronce les sourcils et essaye de se rappeler ce que vient de lui expliquer le vieil homme, puis hoche la tête : « Non j’ai… j’ai éjaculé sur son dos. »
-Bon alors si elle prend une potion contraceptive tout devrait bien aller. C’est une ménestrelle tu m’as dit ? Elle doit avoir l’habitude… De toute façon ce n’est pas comme si tu devais t’inquiéter, Yag a dû te rendre stérile. » Derreck se fige de stupeur :
-Comment ça ?
-Hé bien oui, sinon son essence aurait pu être transmise à tes enfants. Tu pourrais perdre sa bénédiction.
-Je ne pourrais jamais fonder de famille ?
-Non malheureusement. Mais tu verras, tu en auras une autre. Nous allons devoir recruter pour relancer le culte de Yag. Mais avant ça il va te falloir remplir une mission capitale. » Le torse de Derreck se gonfle et il demande avec appréhension :
-Que dois-je faire ?
-Il faut que tu nous trouves de l’argent. J’en ai marre de mendier auprès des apostats de la Lumière. » Ce n’était pas ce à quoi s’attendait Derreck...

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